Site de R. Chaudenson
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    A propos de la "Dictée du GEREC" (janvier 2004) 

Lors de mon récent séjour en Martinique, j'ai appris que le GEREC organisait, sur le modèle des Dictées de Bernard Pivot, une "Dictée du GEREC". Je suis un peu étonné de voir ainsi imité un exercice de francophonie un peu contestable dans son principe même ; je laisse de côté ce point car ce n'est pas mon propos. Je suis, en revanche, stupéfait, mais surtout atterré, de voir un groupe, qui se dit "de recherches" et qui prétend avoir le monopole de la graphie scientifique d'une langue créole, prendre pareille initiative. Elle démontre de façon éclatante deux faits majeurs. 

Le premier est que le GEREC ne semble pas comprendre ce qu'il fait et/ou que certains de ses membres les plus éminents, comme Jean Bernabé, docteur d'Etat en sciences du langage, ne portent pas assez d'attention à des initiatives du groupe propres à en ruiner définitivement la crédibilité scientifique. 

La dictée est un exercice traditionnel et fondamental dans l'école française et francophone dans la mesure où, pour le malheur de ceux qui doivent écrire le français, cette langue est pourvue d'une orthographe très complexe et, sur bien des points, aberrante. Le même son s'y écrit de multiples façons ; on y trouve des traces innombrables d'évolutions anciennes (ainsi pourrait-on  sans inconvénient écrire "tu aimes" et "ils aiment" sous la forme *"tu aime" et *"ils aime") ; on pourrait aussi supprimer sans problème bien des doubles lettres et des traits d'union (comme le proposait la "réforme Rocard" que nul n'a pris en compte) ; on pourrait même changer de pseudo-étymologies comme dans "poids", qu'on écrit avec un "-ds" final absurde car ceux qui, autrefois, ont donné cette orthographe à ce terme ne savaient pas que ce mot vient du latin "pensum" et non, comme ils le croyaient, de "pondus"; etc. C'est de cette extravagante complexité qu'est née dans l'esprit de Mérimée l'idée de faire un concours d'orthographe et ce fut la fameuse dictée de l'Impératrice qui a servi de modèle à Pivot.  Bref, le français possède la pire des orthographes, mais les Français sont contraints de la garder. 

Dans des langues où l'on écrit comme on parle (les savants diraient qu'on y trouve un graphème pour un phonème), comme en espagnol pour ne pas chercher trop loin, faire une dictée n'a guère d'intérêt puisque, en gros, tout mot s'écrit comme il se prononce. Il en est de même dans la graphie que le GEREC propose pour le créole. Dès lors, on se pose une question toute simple : si, dans la graphie GEREC, tout mot martiniquais s'écrit comme il se prononce (un signe graphique pour un son ou, si l'on veut et selon la formule précédente, un graphème pour un phonème), quel peut être l'intérêt d'une dictée ? Si cette dictée prend la forme d'un concours ou d'un championnat, quelle peut bien être la difficulté d'une telle épreuve pour ceux qui y participent ? 

Une telle démarche est, dans son principe, absurde et elle donne à penser que ceux qui l'organisent n'ont même pas compris le principe de base du système qu'ils sont pourtant censés avoir mis au point! Si l'on se refuse à envisager une hypothèse si inquiétante pour les compétences du "groupe de recherches" en cause, on est conduit à penser que l'opération n'est que grossièrement publicitaire et qu'ils jugent que ceux qui soutiennent ou "sponsorisent" une telle affaire sont incapables de comprendre la manipulation dont ils font l'objet. 

L'existence de cette "dictée du GEREC" fait aussi apparaître un second aspect qui va un peu au-delà de ces constats. La seule justification qu'on peut trouver à cette dictée tient au fait que l'immense majorité des Martiniquais ignore les principes et les règles de la graphie du GEREC. L'exercice n'est pas, dans ces conditions, une véritable "dictée", puisque tout participant qui connaît la graphie du GEREC n'a aucune difficulté à avoir "zéro faute", mais plutôt une simple récitation, à partir d'exemples, du tableau des signes proposés par le GEREC pour écrire le créole martiniquais. Mais dans ces conditions, si comme l'affirme sans cesse le GEREC, 95% des "scripteurs" Martiniquais écrivent le créole en usant de la graphie GEREC, cet exercice n'a aucun sens, car tout la connaissent. 

Force est donc de conclure qu'il n'en est rien, que ce système est largement ignoré et que le GEREC, par une telle opération, s'efforce, en réalité, de diffuser un système que, me semble-t-il, beaucoup de Martiniquais rejettent ou en tout cas délaissent, surtout quand il doit, en outre, servir à graphier un "créole dragon" hérissé de néologismes bizarres. Cette dictée, loin de montrer que ce système est d'un usage généralisé, démontre donc exactement le contraire. 

Une telle opération, scientifiquement absurde dans son principe, a toutefois le mérite essentiel de démontrer, de façon concrète et irréfutable, et par une opération dont le GEREC a lui-même l'initiative que ses affirmations sur l'usage généralisé de sa graphie par les "scripteurs" martiniquais sont totalement fausses. 

R. Chaudenson 


    LA MINUTE DU PROFESSEUR CONFIANT   (janvier 2004) 

Cette rubrique se veut un hommage, très modeste,  à Pierre Desproges et à Monsieur Cyclopède. 

La minute géopolitique du professeur Confiant 

Commentaire sur un article de Jean Crusol accessible dans le site  d'Edouard de Lépine <www.edl55.com> 

Raphaël Confiant en chantre du développement esclavagiste et colonial... on aura décidément tout lu sous la plume de cet auteur dont la verbosité tourne de plus en plus au délire. Jean Crusol réplique, de façon très convaincante, aux aberrations économiques de Confiant. Le thème "langues et développement" m'intéresse tout particulièrement, puisque j'écris sur ce sujet depuis quinze ans, à propos de l'Afrique en particulier, et que je dirige, à l'Harmattan, une collection qui porte ce nom et dans laquelle ont été publiés, à ce jour, près d'une quarantaine de volumes. 

Je ne voudrais pas évoquer ici le fond des choses que je laisse à Jean Crusol, mais corriger quelques-uns des multiples mensonges de Confiant qui relèvent de ma compétence. Comme toujours, Confiant s'efforce, pour tromper son monde, de situer sur des terrains qu'il suppose inconnus de ses lecteurs. "Je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, vivent les rats". Il aime ainsi parler de l'océan Indien aux Antillais; hélas, ce qu'il en dit est à peu près toujours mensonger ou inepte, qu'il s'agisse de la graphie du GEREC (dont il prétend qu'elle est utilisée aux Mascareignes et aux Seychelles, ce qui est totalement faux), de l'officialité des langues officielles ou des caractères des systèmes éducatifs. 

Il écrit ainsi dans l'article auquel répond Jean Crusol et qui donc le cite (je reproduis une citation de Confiant dont je n'ai pas le texte original, mais que J. Crusol, à qui je fais toute confiance, mentionne entre guillemets) : "l'Ile Maurice et les Seychelles où le créole occupe une place tout à fait officielle aux côtés de l'anglais et du français" ; dans la suite, il laisse par ailleurs entendre que la réussite économique de ces Etats serait liée à la place que le créole y tient, en particulier dans l'éducation (le développement des Seychelles résulterait de ce que la majorité de la population est alphabétisée en créole). 

Si je n'ai aucune compétence pour ajouter quoi que ce soit à ce que dit J. Crusol sur le développement économique des Seychelles, je puis corriger les mensonges (je nomme ainsi une erreur de toute évidence volontaire qu'on nomme en général un mensonge) de R. Confiant. 

Sur la question de l'officialité tout d'abord. Les Seychelles ont trois langues officielles, le créole, l'anglais  et le français. Maurice n'a aucune langue officielle et le créole n'y a aucun statut officiel. Je renvoie pour les problèmes et les lois linguistiques de Maurice à l'excellente thèse qu'a soutenue, sous ma direction, Arnaud Carpooran; elle est désormais publiée, sous une forme réduite, dans la collection "Langues et développement" à l'Harmattan, sous le titre Ile Maurice : des langues et des lois (2002). Un autre exemple pour le même problème, la République d'Haïti, dont on fête cette année le deux centième anniversaire de l'indépendance, a pour langues officielles le créole et le français; je ne constate pas que cette officialisation ait entraîné pour cet Etat le développement économique majeur que laissent prévoir pourtant les théories de Confiant. Mensonge évident de R. Confiant sur ce premier point. 

Pour ce qui est de Maurice, le créole n'a aucun statut dans le système éducatif national; le médium éducatif unique est l'anglais ; le français y enseigné quotidiennement, dès le début de la scolarisation, comme langue seconde, d'une façon d'autant plus efficace que l'environnement est largement francophone. Maurice est sans doute, parmi les Etats francophones du Sud, l'un de ceux où le pourcentage de francophones réels est le plus élevé. Ce fait devrait inciter à la réflexion puisque c'est aussi le seul cas où, dans ce même ensemble, on enseigne LE français et non simplement EN français. 

Aux Seychelles, une importante réforme a eu lieu au début  des années 80 (j'ai écrit avec Pierre Vernet, linguiste haïtien, un livre L'école en créole : étude comparée des systèmes éducatifs haïtien et seychellois, ACCT, 1983). Elle visait, après suppression de l'enseignement privé,  sectorisation des écoles et création de cantines scolaires, à commencer la scolarisation par un apprentissage de la lecture et de l'écriture en créole et un apprentissage simultané de l'anglais oral, cette langue devenant rapidement le médium majeur de l'éducation. En fait, on avait même rêvé, du côté français surtout, à un système où interviendraient, sur le même plan, l'anglais et le français. Hélas, il a fallu très vite déchanter, les maîtres étant hors de mesure d'enseigner en français. Ce  système est devenu, de fait, un peu analogue à celui que l'on nomme au Mali par exemple, pour le bambara et le français, la "pédagogie convergente". C'est ce que R. Confiant définirait sans doute comme se servir du créole ou du bambara comme "marchepied" vers l'anglais ou le français. En dépit de ces prudences, la réforme seychelloise, certes hâtive et insuffisamment préparée (en particulier pour la post-alphabétisation en créole, langue dans laquelle les enfants n'avaient presque rien à lire!), a rencontré de très vives résistances chez les parents d'élèves en particulier. Elles n'ont d'ailleurs pas disparu; le récent rétablissement de l'enseignement privé ne laisse rien présager de bon pour le système, quoique la place du créole s'y soit progressivement beaucoup réduite. Des écoles en anglais s'ouvrent pour ceux qui ont les moyens d'y inscrire leurs enfants. On s'achemine vers un modèle que, pour la Réunion, le Parti Communiste Réunionnais a toujours refusé non sans bon sens : une école en créole pour les pauvres, une école en français pour les riches. Cette réalité seychelloise est donc très différente de l'image d'Epinal que propose Confiant, en suggérant que le développement économique des Seychelles serait la conséquence de l'alphabétisation en créole. Une telle idée est, bien sûr fausse, mais elle est surtout  totalement stupide car les choses ne sont pas si simples. 

Le retour de R. Confiant à l'enseignement (une condition de "petit fonctionnaire de merde" pour user des termes qu'il aime employer) ne s'explique nullement par une soudaine réactivation de sa fibre de militant créoliste. Le beau temps des droits d'auteur substantiels me semble fini pour lui dans la mesure où je constate que, dans les librairies de l'hexagone, si les livres de P. Chamoiseau ou de X. Orville sont en rayons, ceux de R. Confiant n'y figurent plus et si l'on veut les acheter, il faut passer commande. Ce fait est significatif, quand on sait comment sont gérés les stocks de librairie. Ce qui ne se vend pas est écarté des rayons! Bien placé pour sentir venir le vent de l'insuccès, R. Confiant a jugé bon de revenir à l'enseignement, dont les rémunérations sont modestes, mais ont le mérite immense d'être assurées et régulières. Comme il lui fallait autre chose désormais qu'un poste de maître auxiliaire d'anglais en lycée professionnel (ce qui fut autrefois son emploi), il a fabriqué, à toute vitesse selon son habitude, une thèse qui n'aurait jamais dû arriver à soutenance et moins encore lui permettre se voir attribuer une mention flatteuse,  vu les ignorances et les âneries monumentales qu'on y trouve, sans parler du non-respect des formes académiques et des multiples aberrations orthographiques et syntaxiques qui y figurent (pour le détail, je ne puis que renvoyer au compte rendu que j'en ai fait et qu'on trouve dans les archives de ce site). 

Qu'on n'aille surtout pas croire que je me réjouisse de cette chute de la popularité et des droits d'auteur de R. Confiant. C'est tout le contraire ! Peut-être se souvient-on d'un article (paru dans un journal colonialiste métropolitain), au terme de la période où il entendait consacrer sa plume et son talent, à créer une littérature EN créole, même si elle ne trouvait pas de lecteurs. Il s'y vantait, non sans cynisme, de faire désormais le choix, non plus de la "bicyclette" créole, mais de "l'automobile" française. Cette dernière lui étant aujourd'hui retirée, il peut certes reprendre son vieux vélo créole (ce qu'il ne semble pas faire d'ailleurs), mais il faut bien faire bouillir la marmite. Nul ne regrette donc plus que moi sa chute dans le palmarès des ventes, car s'il y était demeuré, nous n'aurions pas à subir aujourd'hui sa logorrhée délirante et le GEREC aurait pu rester ce qu'il était autrefois, au temps où l'on y faisait des recherches au lieu de se consacrer à l'invective et à l'insulte. 


D'autres chroniques viendront s'ajouter...